Trois films auront été marquants sur la construction du projet.
Les scénarios s’inspirent de faits réels.
Ils retracent des expériences initiatiques via l’écriture, le théâtre, le chant.
J’ai été voir ce film à sa sortie en 2007.
J’en suis sortie bouleversée et renforcée dans mes convictions : s’il n’est pas possible de changer le monde, on peut au moins faire en sorte de bouger les lignes.
Le film de Richard LaGravenese retrace l’expérience d’Erin Gruwell, jeune professeur d’anglais de 1994 à 1998 à la Woodrow Wilson High School de Long Beach (Californie).
Nous sommes au lendemain des émeutes raciales de 1992 : à la suite du passage à tabac d’un automobiliste noir par la police, Los Angeles sera le théâtre de 6 jours de scènes de guerre civile.
Portée par ses idéaux, Erin Gruwell, 23 ans choisit comme premier poste un lycée où se côtoient, dans un climat d’extrême violence, les jeunes blancs de la classe moyenne et les gangs à majorité hispaniques et afro américains.
Bousculée par des jeunes dont le seul projet est de rester vivant, elle fait le pari de tout mettre en oeuvre pour qu’ils puissent se resocialiser et faire des études.
En 4 ans, elle va aider 150 jeunes jugés « irrécupérables » à avoir un diplôme universitaire. A partir des journaux intimes qu’elle va leur faire écrire sur les cahiers mis à leur disposition, elle va publier un livre The Freedom Writers Diary en 1999 dont le succès sera mondial.
Elle va écrire un série de livres pour donner des outils aux enseignants qui souhaitent, comme elle, se battre avec les plus démunis.
Après un bref passage par l’enseignement universitaire, elle va créer sa fondation The Freedom Writer foundation pour essaimer ses méthodes alternatives d’enseignement et encourager à l’action.
« Le mal gagne quand les bonnes personnes ne font rien !(…) Je défie chacun d’entre vous, la bonne personne en chacun d’entre vous, de faire quelque chose. (…) Aidez l’enfant qui en a besoin. » Erin Gruwell
Je suis allée voir les deux autres films sont récents. Je suis allée les voir en sachant que je m’étais engagée sur un projet d’atelier artistique en milieu carcéral.
Le film d’Emmanuel Courcol est sorti en 2020. Il s’inspire de l’histoire de Jan Jönson, acteur et metteur en scène suédois.
Nous sommes en 1985, dans le cadre d’ateliers théâtre dans la prison de Haute sécurité de Kumla.
L’artiste va monter avec cinq détenus « En attendant Godot » de Samuel Becket. Une tournée va se mettre en place, au cours de laquelle les détenus vont prendre la clé des champs.
Dans un seul en scène contraint, le metteur en scène va donner au public le récit de cette expérience hors du commun.
Le monologue improvisé va devenir un spectacle donné plus de 300 fois notamment dans les prisons européennes et américaines.
Le film transpose la trame de l’histoire en France.
Le film d’Etienne Comar est sorti en 2022. Il s’inspire des expériences de Michael Andrieu, professeur au conservatoire d’Alençon. Le musicologue donne ou a donné des ateliers musicaux en prison.
Le héros du film, joué par Alex Lutz est un chanteur lyrique qui donne des cours de chants dans un centre de détention pour des femmes en longues peines.
Les héros des deux films sont dans des impasses émotionnelles, familiales et artistiques :
Etienne, le comédien incarné par Kad Mérad dans un Triomphe, est divorcé et en difficultés relationnelles avec son ex épouse et sa fille.
Sa carrière est derrière lui. Il court le cachet. Il prend par défaut la suite d’un atelier théâtre dans un centre de détention pour hommes en longue peine.
Luc, le chanteur lyrique de A l’ombre des filles est en deuil. Préoccupé par sa carrière, il s’est éloigné de sa famille.
Il se sent responsable de la mort de sa mère intervenu alors qu’il avait promis à sa soeur de veiller sur elle pendant son absence.
Depuis plusieurs mois, il ne donne plus de concert. Il accepte toutefois de donner des ateliers de chants pour des femmes en longue détention.
Les deux artistes ne sont pas accueillis à bras ouvert par les détenu(e)s. Leurs motivations sont essentiellement de passer un moment en dehors de la cellule.
Souvent réticent(e)s à se laisser aller dans la démarche artistiques, les participant(e)s n’hésitent pas à prendre à parti assez vivement leur « animateur ».
Les relations entre détenu(e)s ne sont pas sereines non plus, voire assez violentes.
Tous et toutes sont durement affectés par la vie carcérale. L’enfermement est aussi bien intérieur qu’extérieur.
Les artistes sont en dehors de leur zone de confort. Ils sont bousculés sans ménagement dans leurs certitudes.
La légitimité de leur présence en prison, leur conception de leur art et de son utilité sociale sont niés au départ.
Il va y avoir un apprivoisement réciproque entre les artistes et les participant(e)s.
Les 2 films montrent un univers kafkaïen, avec des enfilades de hauts grillages, une multitude de portes à franchir.
La méfiance est partout. Deux hantises : les poussées de violence et les tentatives d’évasion.
Un diapason peut devenir une arme.
Luc est bloqué dans un sas par une panne informatique.
Dans Un triomphe, on voit la persistance en prison des rapports de domination des caïds, de la loi du plus fort.
De son côté, Luc est confronté a des scènes de chahut collectif qu’il ne comprend pas.
On comprend que pour tous, artistes, personnel pénitentiaire et détenus, la prison est un milieu hostile.
Qu’il s’agisse des gardiens ou de la direction, le personnel ne soutient pas de manière enthousiaste les ateliers artistiques.
Le rôle d’un centre pénitentiaire est de maintenir en détention des délinquants.
Le rôle du personnel est de faire en sorte que la cocotte minute sous pression n’explose pas.
Ils n’hésitent pas à faire allusion plus ou moins clairement aux motifs de détention des participant(e)s.
Ne vous méprenez pas, restez sur vos gardes, ce ne sont pas des anges !
Etienne doit batailler pour avoir les conditions minimales de travail pour organiser des répétitions.
Il va négocier ferme pour faire sortir les détenus pour les représentations.
Pourquoi mettre autant de moyens pour des délinquants ? Pourquoi eux et pas les autres ?
Lorsque Luc s’étonne de ne pas avoir été prévenu d’un mouvement de grève des gardiennes, il lui ait répondu qu’on n’a que faire des états d’âme d’un petit musicien.
Après des débuts assez rudes, chacun prend ses marques.
On arrive à créer un espace mental propice à un travail collectif.
Une fenêtre intérieure s’ouvre qui permet aux détenu(e)s de se retrouver en tant que personnes ayant de la valeur.
Un projet artistique prend corps : la pièce de Samuel Beckett pour Etienne et ses gars, une présentation d’un travail choral pour Luc et ses filles devant les autres détenues.
Les comédiens amateurs en tournée donnent du fil à retorde au metteur en scène qui doit constamment les recadrer. Ils finiront par tous s’évader le soir de la représentation au Théâtre de l’Odéon – spectacle auquel devait assister la directrice de la prison et des représentants du Ministère de la Justice.
Tout commence bien pour la chorale de Luc. Cependant, une des filles s’empare de la scène improvisée pour en faire une tribune de dénonciation des abus de pouvoir du personnel pénitentiaire.
Le projet artistique a échoué mais les artistes sortent grandis et renforcés de l’expérience :
Etienne retrouve le respect de sa fille et de ses pairs. Par le monologue qu’il improvise devant une salle décontenancée, il redonne du sens à son travail.
Il affirme son attachement avec les détenus dans l’aventure collective. On comprend que sa carrière va rebondir.
Luc va rechanter devant des détenues médusées. Une voix de contre ténor dans un répertoire baroque, ce n’est pas dans leur univers sonore.
Il va se confier à une détenue qui a quitté l’atelier. Lors d’une rencontre au parloir, il va parler de son deuil rendu impossible par une trop grande culpabilité.
La fin du film le voit accepter enfin d’aider sa soeur à débarrasser la maison de leur mère. Il se laisse aller aux pleurs de la séparation. On devine que sa carrière à lui aussi va pouvoir se redévelopper.
Sous une autre forme peut être…
On ne sait pas ce que sont devenus ceux qui ont pris la clé des chants. Le film ne le dit pas. La documentation sur l’histoire originale non plus.
Toutefois, on suit leur évolution au fil du récit.
Les filles aussi vont bouger. L’une va renouer avec sa fille (via une lettre transmise par Luc en dépit des règles explicites). Une autre renonce à un traitement médical (sans doute des antidépresseurs). On les voit toutes chanter dans leur cellule à la fin. Luc leur a permis de trouver leur voix.
Les activités sont ponctuelles.
Qu’elles se déroulent sur quelques jours ou sur l’année, elles accueillent sur validation d’inscription des groupes différents de volontaires.
En milieu carcéral, il n’est pas question de favoriser une personne ou un groupe de détenus.
On se dit donc au revoir, ou plutôt adieu, en fin de cycle.
Etienne n’aura pas pu dire adieu à son groupe qui a pris la clé des chants. Le dernier contact se fera par texto.
Luc vas dire adieu à ses filles. Cependant, on voit qu’il maintient un lien avec une détenue, par des visites au parloir.
Le parloir étant plutôt réservé à la famille du condamné et à ses proches, le scénariste a voulu marquer une fin optimiste.
L’expérience d’Erin Gruwell est passionnante et enthousiasmante parce qu’elle a réussit son pari.
Qu’en est il des deux autres films qui nous interpellent ?
Les personnes arrivent en prison avec une histoire plus ou moins violente et traumatique.
Nous ne savons rien de la gravité des actes ni des motivations qui les ont conduits devant les tribunaux.
La vie carcérale va les endurcir ou les fracturer davantage.
Dans quelle mesure une activité artistique peut elle aider le détenu à connecter en lui des ressources pour se reconstruire en tant qu’être humain ?
Combien d’ateliers seront ils nécessaires ? Quelles rencontres faudra t’il pour inverser durablement le processus ?
Pour finir sur une note d’espoir avec Mickaël Andrieu :
https://www.france24.com/fr/20180216-comment-musique-participe-a-reconstruction-detenus-prison