Passage par la case prison – les origines du projet

2 juin 2022

Qui n’a pas connu la prison la connaîtra un jour, qui l’a connu ne l’oubliera plus.
Les proverbes et dictons russes (1884)

 

J’ai été contactée par la Ligue de l’enseignement, sur les recommandations, d’une médiatrice culturelle en médiathèque en juin 2019.

La demande : une intervention en milieu carcéral pour une série d’atelier sur la lecture à voix haute au printemps 2020.

Le projet va évoluer pour aboutir à la proposition d’ateliers de lecture et d’écriture sur la littérature fantastique conduits par deux artistes.

Le cycle de 10 ateliers de 2 h 30 initialement prévus fondit à 7 ateliers de 2h.

le budget se réajusta aux faibles ressources du commanditaire.

Un centre pénitentiaire fut destinataire de l’action.

Le calendrier, bousculé par la crise sanitaire, fini par se stabiliser en mai 2022.

 

Mais quelle idée d’aller là bas ?

Les réactions de mon entourage personnel et professionnel à l’annonce du projet ont été :

« Mais t’as pas peur d’aller là bas ? »

Comprendre : intervenir en prison, c’est comme entrer dans la cage aux lions sans l’expérience ni les armes du dompteur !

Certes, Dominique Simonnot, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, comme ses prédécesseurs, s’est élevée publiquement sur les conditions « indignes » et « inacceptables » subies par les détenus de certains centres pénitentiaires.

Bien sûr l’actualité nous informe régulièrement de problèmes structurels de surpopulation carcérale, de manque d’hygiène et d’accès de violence, d’encadrement en sous effectif…

Surpopulation, hygiène déplorable, violence généralisée : Toulouse-Seysses, prison indigne

 

J’ai reçu des liens avec différents documentaires sur l’univers carcéral, dont celui ci :

« T’inquiètes pas ! C’est jouable ! »

Cependant, des amis ayant eu à intervenir sous diverses formes en milieu carcéral m’ont rassurée :

les détenus participants aux ateliers et animations sont tous volontaires.

Ils sont sélectionnés en fonction de leur aptitude comportementale.

La composition du groupe aussi est analysée afin de ne pas mettre ensemble des gens ayant déjà des contentieux.

Et puis les animateurs portent sur eux un dispositif permettant de donner l’alerte en cas de soucis.

 

Donc Ok, je rentrerai dans la cage aux fauve, mais avec un dispositif sécurisant :

les lions seront repus, les gardiens seront aux aguets et j’aurai la possibilité de m’enfuir en cas de danger. Ouf !

 

Ceci étant et très honnêtement, le contexte pénitentiaire était plutôt pour moi très anxiogène. Je ne m’y serais pas présentée spontanément.

Je n’étais pas très à l’aise dans mes baskets le premier jour.

 

Le hasard prends soin de moi à l’occasion. Ma première expérience a eu lieu en maison d’arrêt et pas dans un centre de longue détention.

J’ai pris la demande qui m’a été faite comme un défi et j’ai essayé de faire pour le mieux pour être à la hauteur de l’enjeu.

Mais quel enjeu exactement ?

 

« Félicitation pour cette belle initiative ! »

Dans ce cas de figure, je ne suis plus la dompteuse de fauve mais l’âme charitable qui va intervenir où les autres n’ont pas envie d’aller.

On touche à une autre dimension : l’humanisme, le militantisme…

Pour forcer le trait, je suis censée apporter la bonne parole – artistique – aux exclus, aux bannis de la société.Mais quelle bonne parole en fait ?

Il allait de soi que je n’allais pas être le chantre de l’enfermement, que je n’étais pas mandatée pour porter un jugement quel qu’il soit sur l’institution comme sur les détenus et les raisons de leur incarcération.

Quels pouvaient être, donc, les objectifs de mon intervention et les motifs sous jacents ?

Les actions pouvaient être à dominante récréative ou éducative.

Etant moi même issue de milieu populaire et ayant passé 20 ans de ma vie en « quartier », je sais ce que je dois à l’éducation populaire qui a fait de moi une « trans classe » sociale.

On peut donc dire que mon parcours ayant été soutenu par des valeurs d’humanisme, de solidarité, de sororité/fraternité, celles ci vont s’incarner dans ma vision du mon de et mes actions.

La réalité du terrain va tirer l’expérience vers l’autre rive.

 

« La prison, c’est pour enfermer les délinquants, pour protéger la société des voyous ! »

Ce discours sécuritaire est encore bien en vogue, surtout en période électorale.

Il incite à remplir plus avant les prisons, de prévoir des peines plancher, à durcir les conditions d’incarcération…

pour ceux qui n’auront pas la chance d’avoir un bataillon d’avocats médiatisés pour leur éviter le tribunal,

pour ceux qui ne pourront pas porter l’affaire en appel, en cassation, jusqu’à la cour européenne des droits de l’homme et plus si affinité !

 

Dans cet état d’esprit, un centre pénitentiaire, comme son nom l’indique, est là pour gérer les modalités de la pénitence, pour « surveiller et punir » pour rappeler le livre de Michel Foucault (Gallimard – 1975).

Pour certains, adeptes des solutions radicales, plus les conditions d’incarcération seront pénibles, moins le délinquant souhaitera y retourner.

Ainsi seule la violence institutionnelle pourra garantir une société apaisée sans rien changer aux inégalités et fractures sociales.

Comment puis je vouloir distraire des délinquants alors que je pourrais consacrer mes efforts à des gens plus respectables et en grand besoin de soutien ?

Si les mêmes causes produites les mêmes conséquences, sur quoi agir ?

A cela j’ai répondu que ma compagnie était déjà allée à la rencontre de publics dit « empêchés » : demandeurs d’asile, squat, Hepad, associations s’occupant de personnes handicapées (physiques et/ou mentales)… et qu’elle y retourne volontiers.

D’autre part, réduire un parcours de délinquance à un ou une série de choix personnel malheureux qu’on doit expier au cachot est tout aussi erroné que de surestimer les facteurs sociaux.

Sans aller plus loin pour ne pas pérorer sur un sujet que je ne maîtrise pas, il me semble juste que si les paramètres, personnels et sociaux, qui ont conduit un individu en cellule ne changent pas, il y a de forts risques que les mêmes causes produisent et reproduisent les mêmes conséquences.

Je n’ai pas la prétention et encore moins le pouvoir de changer la société ni ses institutions.

Mon projet se voulait donc imprégné de motifs de l’éducation populaire : être utile aux participants, leur donner des outils pour prendre du recul par rapport à leur histoire personnelle, leur donner des billes pour penser autrement.

Si mon commanditaire était la Ligue de l’enseignement, mon interlocuteur et donneur d’ordre était le SPIP, Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation.

La mission prioritaire de ce service est la prévention de la récidive.

A priori, je n’étais pas trop à côté de la plaque.

La particularité des lieux est qu’on ne peut pas les visiter. Mes interlocutrices étaient à ma disposition pour toute question.

Encore faut il avoir en tête toutes les bonnes questions.

 

Intervenir en prison n’est pas anodin.

Même brève, l’expérience est marquante.