J’ai abordé dans les deux articles précédents les premières étapes de la construction du cycle d’ateliers sur la littérature fantastique.
Ils ont été donnés en mai dernier dans un centre pénitentiaire.
Nous voici au stade de la présentation du contenu concret de l’action et du bilan, encore à chaud.
Pourquoi avoir choisit la littérature fantastique comme support d’ateliers de lecture et d’écriture ?
En quoi est ce pertinent pour une action en milieu carcéral ?
« Retenons que le fantastique naît de l’imagination et fait intervenir le surnaturel » Véronique et Jean Ehrsam La littérature fantastique en France.
Ce courant littéraire plonge en Occident ses racines au 18e siècle.
Il a réussi à construire un univers très riche et original par les thèmes et motifs abordés.
Travailler à partir de textes fantastiques permet aussi d’aborder de manière non frontale un certain nombre de sujets de société d’actualité.
Voilà un bon terrain de jeu pour susciter des échanges et aborder les rives de la création.
Tous les spectacles de Tout conte fait sont très documentés.
Des années de lecture, de visionnage de films, de collecte de visuels ont accompagné la création des Contes de la lune noire.
Les recherches, passées et en cours, m’ont permis de créer plusieurs versions du spectacle.
Elles m’ont permis aussi de nourrir des actions de médiation en amont et à la suite des représentations.
Ces ateliers intègrent désormais le catalogue des actions culturelles de la compagnie.
A partir de la documentation réunie, nous avons crée deux supports pédagogiques très visuels :
Ces supports ont été illustrés par nos deux stagiaires de l’école Emile Colh : Jade Huguet et Mathilde de la Gastine.
Un choix de sept nouvelles permettant un travail progressif d’analyse littéraire est venu compléter notre mallette de jeu.
Ce projet a été pensé et construit pour être proposé en duo avec Omar Toujid.
Nous avons noué depuis des années une belle complicité et nous sommes bien complémentaires.
Ainsi, contrairement à moi, Omar avait déjà une expérience d’action en milieu carcéral d’improvisation musicale et corporelle.
Le projet initial était de construire des cessions de 2h de lecture et d’écriture à destination d’un public de lecteurs.
Nous avions prévu des exercices variés de complexité croissante incluant les dimensions d’apprentissage et de création.
Nous avions également dans notre besace des outils permettant à nos participants de mesurer leur progression pour renforcer leur confiance en eux.
Allier expression personnelle et collective, création et capacités techniques nous paraissaient un bon combo.
Utiliser ces histoires de l’ombre, pour ouvrir un espace de liberté intérieure, que voilà un beau programme !
La préparation du cycle d’ateliers nous a pris plusieurs semaines de travail, seuls ou à plusieurs.
Le projet, validé par nos interlocutrices de l’époque, était conçu pour des lecteurs, ou du moins des personnes motivées par ce type de contenus.
Les affiches d’information étaient explicites, tant au niveau des visuels (une pile de livres) que des slogans.
Néanmoins, il est rare que dans nos vies professionnelles, les choses se déroulent totalement comme prévu.
Ma méconnaissance des réalités de la vie carcérale comme les contours assez flou du cahier des charges m’ont conduits sur une fausse piste.
Le public assis devant nous était composite tant au niveau de ses aptitudes que de ses motivations :
En fait, notre projet tel que construit, défendu et validé n’intéressait qu’une personne.
Lui seul est allé voir la frise et à manifester de la curiosité pour l’univers fantastique.
En préalable, nous avons eu un long échange assez vif avec une partie du groupe.
Il fallait qu’ils communiquent sur leurs conditions de détention.
Les détenus avaient besoin de » vider leur sac » avant de pouvoir être à même d’aborder d’autres sujets.
Nous avons été gentiment chahuté sur la raison d’être de notre présence dans le lieu et l’intérêt de notre action.
A les écouter, ils ne savaient pas écrire et n’avaient aucune imagination.
Résultat des courses, soit on imposait notre projet et notre méthodologie, soit on remettait les compteurs à zéro.
Retour donc à la case départ pour remodeler une prestation qui garderait son sens et ses objectifs mais avec une autre méthodologie.
Voilà qui nous a paru des objectifs réalistes pour ne pas verser dans une activité purement récréative.
Notre public était majoritairement réservé voire réticent.
Le temps nous était compté.
En effet, nous avions prévu sept ateliers de 2h.
Dans la réalité,
Le parcours qui a conduit les détenus en prison, les conditions de la vie carcérale, tout cela produit des resserrements.
Qu’ils s’expriment par la rage, l’abattement ou la résignation, les effets de l’enferment sont omniprésents.
Il faut faire avec.
Prendre du temps pour accueillir.
Reprendre du temps pour encourager, redonner du sens.
Il en faut du temps, de la patience, de la bienveillance et de la créativité pour arriver à créer de petits espaces de liberté.
Quels que soient nos idéaux, notre degré d’investissement, notre capacité d’adaptation, nous sommes confrontés à des choses qui nous dépassent.
Le monde carcéral est un monde à part.
En entendre parler, le voir en film ou évoqué dans les films, ce n’est pas comme quand on y est immergé.
On ne fait pas confiance et il ne faut pas faire confiance.
Il faut éviter les accès de violence, les trafics en tout genre, les risques d’évasion.
Il y a le rituel des fouilles, les portails à franchir.
Les caméras de surveillance sont partout.
Pas d’initiative, pas d’improvisation.
Il faut anticiper les besoins bien en amont et demander les autorisations.
Le jugement porte sur les conséquences effectives des actes mais aussi sur ce qui aurait pu arriver.
Le bip que nous portions dès notre entrée dans l’espace de détention nous rappelait que nous devions rester vigilants.
Le septième et dernier atelier n’a pas eu lieu.
Du fait de l’absence du surveillant affecté à l’étage, toutes les activités ont été annulées.
Notre atelier n’a pas pu être reporté.
Nous n’avons donc pas pu dire au revoir à nos participants ni faire avec eux le bilan de l’action.
C’est donc un retour subjectif et personnel que je vais faire à chaud.
La première chose qui me vient est le sentiment d’humilité.
Nous ne pouvons que proposer, inviter, donner envie.
C’est au détenu de saisir l’opportunité, de faire le chemin.
Pour certains ce n’est pas le moment, ils sont encore trop pris dans leurs peurs et leurs rage.
Ils n’arrivent pas faire le pas de côté, à prendre du recul, à quitter la posture victimaire ou le personnage de rebelle.
De notre côté, nous avons monté un projet pour être à leur service dans une démarche de changement, d’émancipation par rapport à leurs anciens modèles et leurs certitudes.
Nous avons essayé de notre mieux de les comprendre et de les accompagner.
En un mot d’être utiles.
Mais restons modestes, que peux t’on faire de profond en si peu de temps ?
Dans la société des écrans et le culte des « contenus », il fallait quand même être joueurs pour plaider la cause de la littérature, du papier et du stylo !
La grosse écriture maladroite et enfantine témoignait davantage d’une habitude à pianoter des SMS.
Nous sommes des artistes, pas des éducateurs.
Nous avons pu nouer des liens qui libèrent avec notre groupe.
Nous n’avons pas été confronté à des personnalités provocatrices ou trop déviantes ?
Avons nous eu de la chance avec notre groupe ?
Dans l’expérience, nous aurons tous abordé de nouveaux rivages, de nouvelles capacités.
Nos participants nous ont accueillis de pied ferme. Leurs soldats étaient bien posté sur la forteresse.
Progressivement, chacun à leur rythme, ils nous ont laissé entrer.
Les ricanements du début, les moqueries chaque fois que quelqu’un se lançait, ont vite cessé.
Plus question non plus de « stylo brulant » ni de syndrome de la page blanche.
On est passé de la pauvre phase écrite vautré sur la table à – mais oui – une demie page et même une page !
On a travaillé en solo, en duo, en trio, tous ensemble.
Les cartes, mises de côté d’un oeil méfiant les deux premiers jours, ont tourné dans toutes les mains.
De petites et de grandes histoires ont été créées et souvent le fantastique s’y est invité.
On avait réussi à faire exister un bout du monde où les choses redevenaient envisageables à défaut d’être possible.
Nous aurions tellement aimé avoir plus de temps et cheminer plus loin ensemble !
Merci les gars pour vos histoires, pour vos partages, pour vos rires et vos larmes.
J’aurai aimé qu’on puisse se dire au revoir.
Je le fais par ces derniers mots.
Bonne chance à chacun !
Qui n’a pas connu la prison la connaîtra un jour, qui l’a connu ne l’oubliera plus.