Le 17 mars 2020, le monde a replié ses ailes. Nous avons été priés de rester dans nos alvéoles.
Une partie de la société a été mise à l’arrêt, une autre est montée en surchauffe.
Ma compagnie, comme tant d’autres, a connu – et subi encore – la litanie des annulations de spectacles.
Le couperet s’est aussi abattu sur des créations artistiques qui n’auront pas lieu, ne rencontreront pas leur public, quel que soit leur degré d’avancement.
L’interaction directe artiste / spectateurs, présents physiquement ensemble dans un lieu a été interdite.
Gorky exprime bien le désarroi du personnage qui n’existe plus. Que devient un artiste privé à long terme de son public ?
A ce jour, on ne sait pas quand nous pourrons à nouveau être dans un lieu public (salle ou rue) face à un public.
Pour certaines compagnies, tout est annulé jusqu’à 2021. On attend les consignes…
Bien sûr, il a toujours été toujours possible de poster des textes ou des vidéos sur les réseaux sociaux. Mais pourquoi faire ? Pour prouver qu’on existe encore ? Pour garder sa place dans le show médiatique ?
Pour moi, les réseaux sociaux sont comme un fleuve au courant furieux. Des masses d’informations y circulent à grande vitesse. Un post peut vite passer inaperçu dans le flot ininterrompu. Et pour être remarqué, il faut y aller sur le registre émotionnel !
Je n’ai pas souhaité faire et envoyer comme une vidéo/ bouteille à la mer médiatique, de qualité «captation amateur dans mon salon ».
Le sens de mon travail de conteuse est de m’adresser directement à des personnes présentes.
C’est l’alchimie de la rencontre humaine, des inter relations fécondes, qui fait la magie du spectacle vivant.
Par ailleurs, les propositions de loisirs éducatifs ont fleuri sur toutes les ondes. C’est comme si nous étions des enfants apeurés à distraire, à occuper.
Pourquoi rajouter du bruit, du buzz, au tumulte ?
Le chemin d’accès au public étant frappé d’éboulement, je me suis mise en mode « l’an 01, on arrête tout, on réfléchit ».
J’ai remis en questions mon travail artistique : une nouvelle version du site internet de la compagnie est née, de nouvelles approches des différents publics sont en gestation.
Un de mes livrets de Kamishibaï est en voie de publication.
J’ai approfondi les ressources documentaires de mes prestations. Elles nourriront aussi des publications régulières.
Je ne nie pas la réalité de la pandémie, ni la légitimité de prendre des mesures à pour sauvegarder les plus fragiles d’entre nous.
Que haremos sin ellos de Juan Lucena
Pour beaucoup, le travail de deuil de leurs proches n’a pas pu se faire.
Sans doute faut il aussi faire le deuil des croyances qui nous ont conduit dans une impasse mortifère.
Il nous faut enterrer l’homo oeconomicus hanté par son niveau de vie et sa course insatiable vers une croissance matérielle infinie.
Il nous faut renoncer, dans l’intérêt des générations futures, à toujours confier à un aléatoire progrès technologique les solutions à la dégradation de la planète.
Quel monde voulons nous pour nous et les générations à venir ?
La machine économique semble bien s’être réenclenchée sur les mêmes paramètres.
Nous sommes assaillis d’informations sur les conséquences inéluctables du réchauffement climatique en œuvre.
Cette pandémie qui n’en fini pas serait suivie ou accompagnée d’autres plus ou moins virulentes.
Nous subissons un climat entretenu de Grande Peur qui nous sidère ou nous disperse.
On nous répète que nous ne sommes pas sains mais potentiellement asymptomatiques. Les discours anxiogènes et culpabilisants pleuvent, accompagnés de discours contradictoires et non moins enflammés.
Allons nous nous complaire dans nos alvéoles (télétravail, téléloisir, relations virtuelles) ?
Pouvons nous instituer durablement un écran entre nous et les autres ?
Nous avons besoin de réflexions de fonds et de dialogue fécond pour pouvoir prendre du recul et agir à bon essient.
Nous ne pourrons pas lutter contre les pandémies sans système immunitaire renforcé.
Le repli sur soi dans l’attente d’un hypothétique vaccin n’est pas une solution viable à long terme.
Militons pour une décroissance universelle, plus respectueuse du Vivant dans son ensemble.
Une meilleure hygiène de vie , d’autres modèles de vivre ensemble plus harmonieux sont incontournables.
Contribuons tous ensemble à refonder un modèle social moins inégalitaire, sectaire et surtout plus équitable et durable.
Nous sommes condamnés à l’utopie pour faire autre chose que survivre.
Le spectacle vivant a toute sa part –il a besoin de l’exprimer – dans le réenchantement du monde.